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P’tit criss

P’tit criss arrive à la maison. C’est un automne chaud, au milieu des années 2000. C’est la DPJ qui nous l’envoie. On sait pas exactement pourquoi il est pas à sa maison à lui, avec ses parents. Avant d’arriver, il était dans un foyer de groupe. Peut-être que ça ressemblait à notre maison. Maman garde quand même 12 kids de quelques mois à 4 ans, de 7h à 17h chaque jour de la semaine. Il habite ma chambre, j’ai un lit superposé et beaucoup de jouets à partager.


Cet après-midi là, je l’invite à venir rencontrer mes ami·es. On les retrouve dans la cour du bloc de BS d’en face. C’est maman qui appelle ça le bloc de BS, toutes mes ami·es habitent dedans. Derrière le bloc il y a une petite cour de gravel et un module de jeux en bois pourri. Mon frère dit que le module était là avant le bloc, quand c’était encore des maisons avec des familles normales. On joue à la guerre. Le module c’est notre base, on peut grimper à son sommet pour espionner les ennemis ou se réfugier sous la base lorsque ça devient trop chaud. C’est arrivé une couple de fois que j’observe de loin mes frères se cacher en dessous pour frencher leurs amies quand iels jouaient à vérité conséquence. Aujourd’hui, mon fusil est un bâton de mini hockey. Mon frère me l’a volé à un kiosque pendant une game des Remparts au Colisée Pepsi. P’tit criss, lui, lance des grenades, des cailloux de la taille d’un kiwi ou d’une orange. On rampe par terre, comme dans les films. Il y a des barbelés un peu plus haut et je peux pas trop lever la tête ni me mettre à quatre pattes. Rendu en terrain safe, je me retourne sur le dos. P’tit criss est debout, presque à cheval sur moi. Dans sa main droite, il tient une énorme brique rouge. Il me regarde dans les yeux et sourit, son bras tombe et la brique me fend le crâne. 

 

J’ai passé quelques jours à l’hôpital et perdu beaucoup de sang. J’ai un traumatisme crânien. Ce matin, je rentre à la maison. Mes grands frères sont en train de jouer dans le sous-sol quand j’arrive. P’tit criss leur a dit que c’était un accident, que la brique avait glissé de ses mains. Ils l’ont battu quand même pendant que maman était à l’hôpital avec moi. J’ai peur de partager ma chambre avec lui, j’en parle à maman. Je lui raconte ce qui s’est passé quelques jours plus tôt, le sourire de P’tit criss, les cauchemars à l’hôpital. Je pense qu’il va recommencer. Elle comprend, mais y’a pas d’autre chambre disponible, mes frères et sœurs partagent déjà les leurs. En plus, elle a vraiment besoin de l’argent que la DPJ lui verse chaque mois pour accueillir P’tit criss à la maison. Donc pas question qu’on le renvoie d’où il vient. 

 

Les semaines passent, P’tit criss change d’école. Il est rendu dans un établissement spécial, trop loin pour y aller à pied comme mes frères et sœurs et moi faisons. Un chauffeur de taxi vient le chercher le matin et le ramène le soir. Ce matin, pendant que le taxi est arrêté à une lumière rouge, P’tit criss ouvre la porte et part en courant. C’est pas la première fois qu’il essaie, mais c’est sa première vraie réussite. La DPJ appelle ma mère, le jeune s’est retrouvé chez ses parents et ils ne veulent pas le garder, ils ne peuvent pas non plus. C’est mon beau-père qui va le chercher, je pense qu’il l’a engueulé fort dans le char parce que P’tit criss dit pas un mot en rentrant. Y’a aussi l’hiver qui commence à se faire sentir chez nous. Maman a l’habitude de préparer le sapin de Noël dès les premières neiges. Quand il fait trop froid, une petite lumière rouge s’allume sur le mur près de la porte. Ça veut dire qu’on a congé de douche. Maman dit que c’est parce que l’hydro est trop chère quand la lumière est allumée. J’suis juste content de pas avoir à me laver, plus de temps pour jouer avec mes frères. P’tit criss a entendu ce que ma mère disait sur l’élec trop chère. Il se séquestre dans les toilettes et part la douche au plus chaud. Il y reste jusqu’à ce que mon beau-père défonce la porte pour le sortir. 

 

Je me réveille et il fait encore noir dehors, ça sent vraiment la marde dans ma chambre. Je me sens collant, il y a quelque chose de chaud sur mon épaule et dans mon cou. J’entends P’tit criss bouger dans son lit, sous le mien. J’allume la veilleuse qui est au pied de ma couche et je jette un coup d’œil en dessous. Il est en train de peindre le mur avec son caca. Je crie fort, j’entends maman arriver à la course. J’ai du caca partout sur le corps. Avant de répandre sa merde sur le mur, il a dû monter dans mon lit et commencer par mon visage. Je pleure et mes sœurs se réveillent. C’est la plus vieille qui m’aide à me laver, pendant que maman oblige P’tit criss à nettoyer le mur. Elle appelle la DPJ, je l’entends au loin dire qu’elle en peut plus, qu’elle dort plus la nuit, qu’elle a peur qu’il me tue. Mes frères se sont réveillés aussi, ils ont compris ce qu’il se passait. Le plus vieux est allé prendre P’tit criss dans ma chambre et l’a enfermé dans le placard à balais. Y’a pas de poignée à l’intérieur du placard. On jouait souvent à celui qui tient le plus longtemps à l’intérieur — toutes les bouteilles de bière vides de maman, l’odeur de robine mélangée à celle de la vieille moppe et l’impossibilité de bouger nous empêchaient de tenir plus qu’une minute ou deux. P’tit criss y passe le reste de la nuit. 


Il est parti depuis un mois aujourd’hui. Je veux plus que maman prenne des kids de la DPJ. Je fais souvent des cauchemars où il apparaît. Maman nous dit que la nouvelle intervenante du foyer de jeunes de P’tit criss l’avait appelée tantôt. Il est arrivé un accident qu’elle a dit. P’tit criss était dans la douche, il a dévissé le pommeau et a mis son pénis dans le tuyau. Il a ensuite ouvert le robinet et la pression de l’eau lui a explosé la bite. C’est la dernière chose que j’ai entendue de P’tit criss. 

 

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